Lorsque la nationalité suisse constitue un frein au regroupement familial
By odae
Chronique publiée dans Le Courrier du 7 juillet 2025, rédigée par Nicola Lazazzera (membre du comité de l’ODAE romand et juriste au CCSI Fribourg).
La naturalisation peut créer une discrimination à rebours en privant une personne de son droit initial à faire venir ses parents en Suisse.
Larissa**, originaire du Brésil, arrive en Suisse en 2022 pour vivre auprès de ses quatre enfants, dont Camila**, qui est mariée à Nicolas**, un binational franco-suisse. Larissa dépose une demande de regroupement familial avec son beau-fils Nicolas** comme le permet l’Accord sur la libre circulation des personnes conclut entre la Suisse et l’Union Européenne (ALCP).
En février 2024, le Service cantonal de la population refuse sa demande. Il considère en effet que l’ALCP ne s’applique pas à leur situation, parce que Camila et Nicolas se sont mariés en Suisse et non pas en France, ce qui aurait pour conséquence de faire primer le droit interne. Le Tribunal cantonal, saisi par la famille, parvient à la même conclusion. Pour Larissa, il s’agit d’une discrimination à rebours, puisque la nationalité suisse de Nicolas lui octroie moins de droits que ne l’aurait fait sa nationalité française.
Un grand nombre de personnes immigrées en Suisse songent à inviter leurs parents ou beaux-parents (leurs «ascendant·es»), notamment pour qu’ils et elles puissent les aider dans l’éducation des enfants. Ce soutien est crucial pour nombre de familles confrontées au manque de places et aux tarifs très élevés des crèches. Il s’agit aussi souvent de ne pas laisser des parents âgé·es seul·es et leur permettre de bénéficier d’un soutien et de soins qui n’existent pas toujours dans leurs pays d’origine.
Or, il est très compliqué pour des personnes en âge de retraite d’obtenir un regroupement familial avec leurs enfants adultes émigré·es en Suisse. Seul l’ALCP, qui s’applique uniquement aux ressortissant·es de l’UE résidant en Suisse en tant que travailleur·ses, permet d’effectuer un regroupement familial en faveur des ascendant·es (propres ou du conjoint). Mais ce droit est appliqué de façon restrictive par les autorités suisses: celles-ci exigent encore que le ou la regroupant·e démontre avoir financièrement pris en charge son ou sa parent·e à l’étranger pendant plusieurs années.
Si le ou la regroupant·e est de nationalité suisse, l’art. 42 al. 2 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) ne permet le regroupement familial en faveur des ascendant·es que lorsque ces derniers sont ressortissant·es de l’UE ou possèdent un titre de séjour durable dans un de ces pays. Les ressortissant·es d’un Etat tiers qui n’ont jamais séjourné dans l’UE sont donc exclu·es de cette règlementation. Cette limitation n’existe pas pour les ressortissant·es de l’UE qui vivent en Suisse, puisque l’ALCP ne conditionne pas leur droit au regroupement au pays de provenance des ascendant·es.
Alors qu’en est-il si le ou la regroupant·e possède une double nationalité Suisse-UE? Il semblerait légitime que la personne puisse bénéficier de l’application de l’ALCP au détriment du droit interne, puisque ce texte lui est plus favorable. Cependant, les autorités décident souvent de faire primer le droit interne, excluant ainsi toute possibilité de regroupement familial avec les ascendant·es d’Etats tiers. Dans le cas de Larissa, l’argument du canton était que si le lien familial d’alliance est établi après l’installation du binational en Suisse, le droit interne doit s’appliquer. Ce résultat amène ainsi à une discrimination à rebours difficilement compréhensible: car alors non seulement une naturalisation suisse n’offre plus aucun privilège, elle peut même au contraire devenir un grave obstacle privant la personne de son droit initial à faire venir ses parents ou beaux-parents.
Le Tribunal fédéral a constaté à plusieurs reprises cette discrimination à rebours. Il reste néanmoins tenu d’appliquer les lois adoptées par le législateur suisse. En juin 2019, une initiative parlementaire visant à corriger cette discrimination avait été déposée devant le Parlement fédéral, mais celui-ci a décidé cette année, de ne pas entrer en matière. L’un des arguments retenus était que les ressortissant·es d’Etats tiers âgé·es ont plus de risques de dépendre des aides publiques, une préoccupation qui relève d’un chauvinisme social selon lequel les prestations étatiques doivent être réservées aux seul·es nationaux·ales.
Pourtant, cet argument est infondé: pour pouvoir bénéficier d’un regroupement, les personnes doivent déjà préalablement démontrer qu’elles ne risquent pas de dépendre des aides sociales. Force est de constater que la discrimination sur la base de l’âge et du pays d’origine est encore prédominante.
Cas individuel associé: «Refus de regroupement familial pour une famille avec double nationalité»